Arborant une paire de lunettes
roses à la Barbara Cartland, l'excentrique Brigitte Fontaine se donne
le rôle de reine des kékés en son royaume de Kékéland. Redécouverte
en 1995 avec l'album Genre humain, celle qui se prétend tantôt
« Conne », tantôt « Semi-Clocharde » défend avec
constance son trophée avant-gardiste au-dessus de la mêlée banalisée
de la variété française. Portes ouvertes à Kékéland avec « la
diva underground from Paris », appellation brevetée par la New-Yorkaise
Kim Gordon de Sonic Youth, l'une des innombrables invités de ses nouvelles
fables de la Fontaine, entre rock, pop, et free jazz.
Amazon.fr: Votre dernier
album s'intitule Kékéland. Que faut-il faire pour devenir un kéké ?
Brigitte Fontaine:
C'est de naissance et pour toujours ! Être kéké, c'est avant
tout un état d'esprit. C'est être un peu louf, un peu spécial. Jim O'Rourke,
avec lequel je suis en train de travailler, est un authentique kéké. Peut-être
même le plus grand kéké du monde, que j'ai déjà côtoyé deux fois sur scène
– pour une performance à Beaubourg et un concert avec Kim Gordon des Sonic
Youth (rencontrée par l'intermédiaire du groupe Stereolab). D'autre part
sur mon dernier album, le plus grand kéké c'est le pianiste Jean-Efflam
Bazouvet, un merveilleux concertiste. Tous les autres collaborateurs sont
talentueux mais ne sont pas forcément des kékés !
Amazon.fr: Cet
album contient, entre autres, une musique de Moustaki (« Je t'aime
encore »), une reprise d'Andrex (« Y'a des zazous »),
une de vos anciennes chansons (« Baby Boum Boum »)… A-t-il
été plus facile à écrire que les précédents ?
Brigitte Fontaine:

Bien au contraire, je m'investis
à chaque fois d'une façon ou d'une autre, mais toujours avec la même ardeur.
Et je ne vois pas pourquoi sous prétexte que Virgin m'a demandé de faire
une reprise, cet album serait moins personnel que les précédents. J'ai
accepté l'idée, et j'ai choisi Andrex et sa chanson « Y'a des zazous »,
parce que c'est marrant et que j'ai eu beaucoup de plaisir à chanter avec
Mathieu (Chédid dit M) ce texte écrit sous l'occupation, en 1943. Quant
à « Baby Boum Boum », c'est une chanson que j'aime bien mais
qui figure sur un album raté,
Les églantines sont peut-être formidables.
S'il vous plaît ne l'achetez pas ! À l'époque, le groupe qui avait
été choisi à la dernière minute pour m'accompagner, et qui m'a causé beaucoup
d'ennuis, ne convenait pas. Cet album contient une autre de mes anciennes
chansons. Il s'agit de « Les Filles d'aujourd'hui » (enregistré
avec la collaboration des Valentins). Ce titre n'est jamais sorti et je
souhaitais simplement qu'il parût (subjonctif !).
« Faire
de la musique, c'est s'approcher du réel. Je suis un peu inconsciente,
je fais les choses intuitivement. »
Amazon.fr: Au
bout de 30 ans de carrière, votre approche de la musique a-t-elle changé ?
Brigitte Fontaine:
Faire de la
musique, c'est s'approcher du réel. Je suis un peu inconsciente, je fais
les choses intuitivement. Je suis contente de
Kékéland et de tous
les autres disques sortis chez Virgin. Avant cette période, je ne peux
sauver que quelques disques dont celui fait avec Areski Belkacem,
L'Incendie
(1974), que j'aime beaucoup, bien qu'un peu noir, et bien sûr
Comme
à la radio (album enregistré en 1969 avec l'Art Ensemble Of Chicago).
Mes autres albums sont très mauvais. Seules quelques chansons sont à garder,
comme « C'est normal », extraite d'un album – ne l'achetez surtout
pas non plus – qui s'appelle
Je ne connais pas cet homme (1973).
C'est un album à mettre à la poubelle, pas la peine de l'écouter. C'est
dégueulasse !
Amazon.fr: Entre
« Chronique du bonheur », en 1974, et « La Limonade bleue »,
en 1997, vous avez écrit plusieurs romans. Pourquoi avoir cessé d'écrire ?
Brigitte Fontaine:
Je n'ai pas eu le temps
ni le désir jusqu'à présent de refaire un livre.
La Limonade bleue
est parue il y a quatre ans, mais je sens que ça va venir bientôt. Probablement.
C'est presque le même travail, pour moi, que d'écrire des chansons. Sauf
que bien sûr c'est beaucoup plus long et qu'il faut guetter davantage
(?).
« Ça
marche pour Kékéland parce qu'il est plus clair, plus ouvert, avec
davantage de participations diverses. Mais je ne suis pas un vampire,
je ne prends pas les artistes pour les pomper. »
Amazon.fr: Vous
reconnaissez-vous des héritiers parmi la jeune génération de la chanson
française, de Catherine Ringer, des Rita Mitsouko, à Philippe Katerine ?
Brigitte Fontaine:
Non, ils font ce qu'ils font, je fais ce que je fais. Je n'accuserai
jamais Catherine Ringer de m'avoir pompée comme il y en a qui le disent.
Plusieurs fois, elle m'a dit avoir beaucoup écouté mes disques. Tant mieux
si ça lui donne l'envie. Je ne peux pas dire que ça me flatte, plutôt
que ça me fait plaisir. Aujourd'hui, on parle de moi. Tant mieux !
Pourtant, auparavant, je n'étais pas en avance, j'étais dans mon temps
mais probablement que les gens considéraient que j'étais trop en avance.
Ça marche pour
Kékéland parce qu'il est plus clair, plus ouvert,
avec davantage de participations diverses. Mais je ne suis pas un vampire,
je ne prends pas les artistes pour les pomper. Nous avons tous fait ensemble
du très bon travail ; avec M notamment, c'est un très bon travail
en commun. J'espère que ces rencontres aboutiront au moins deux ou trois
fois sur une scène. Mais pas à La Cigale, salle dont j'ai horreur et où
je ne mets jamais les pieds.
Amazon.fr: Comment
avez vous choisi les différents invités de Kékéland : M,
Noir Désir, Sonic Youth, Les Valentins etc. ?
Brigitte Fontaine:

Ce sont eux qui ont demandé à
travailler avec moi, à part Archie Shepp (jazzman réputé venu pousser
la chansonnette sur « NRV ») qu'Ali, le fils d'Areski, et Areski
ont sollicité. Pour Noir Désir, c'est une histoire de chassé-croisé dans
la même journée. Nous demandions à Noir Désir de participer à mon album,
pendant qu'eux voulaient m'inviter sur leur nouvel album. Voilà, les deux
choses ont été faites et j'aime beaucoup ce que nous avons fait ensemble
(« Baby Boum Boum » sur
Kékéland et « L'Europe »,
improvisation de 24 minutes, sur
Des visages des figures). La seule
personne avec laquelle j'aimerais travailler aujourd'hui, c'est Tricky.
« Je
n'ai jamais voulu provoquer, je suis comme je suis et c'est tout !
Disons que, probablement, je ne suis pas comme les autres, c'est tout
ce qu'on peut dire. »
Amazon.fr: Quels
sont les artistes que vous écoutez le plus souvent ?
Brigitte Fontaine:
Toujours Gainsbourg,
Gainsbourg, Gainsbourg…, Billie Holyday, Mozart, Mozart, Mozart, Mozart,
Mozart, et Mozart, et un disque qui s'appelle World Musette,
qui est très rigolo et très bien fait par les Primitifs du Futur. J'écoute
aussi beaucoup la bande originale du film « Vengo » de Tony
Gatlif. Il paraît que le film n'était pas terrible, mais la musique
est très belle.
Amazon.fr: Vous
considérez-vous comme une « Demi-Clocharde » ?
Brigitte Fontaine:
C'est une fiction, comme la plupart de mes chansons, ce personnage
n'a rien a voir avec moi. Je n'ai jamais voulu provoquer, je suis comme
je suis et c'est tout ! Disons que, probablement, je ne suis pas
comme les autres, c'est tout ce qu'on peut dire.
Amazon.fr: Sur
le même album, d'un coté vous chantez « L'amour c'est du pipeau »,
et de l'autre vous écrivez « Je t'aime encore ».
Brigitte Fontaine:
Il y a deux chansons d'amour sur cet album. Je n'en fais pas d'habitude,
ça m'a pris comme ça. J'aime les paradoxes et les contradictions.
Amazon.fr: Exceptionnellement,
Jacques Higelin n'apparaît pas sur cet album. Est-ce la fin de votre
longue collaboration ?
Brigitte Fontaine:
Pourquoi est-ce qu'il apparaîtrait sur tous mes albums ?
Non, ce n'est pas la fin de notre histoire. Sur son prochain album,
nous allons faire un duo, une chanson que nous avons écrite il y a déjà
quatre ans environ. --
Propos recueillis par Sabrina Silamo.